
Que proposons-nous ? Six petites choses, six tentatives de s’orienter dans une situation qui nous dépasse.
Voici, en quelque lignes, le sens de ces propositions.
Elles ont vu le jour dans l'interstice très restreint où nous nous trouvions entre:
- la certitude que le projet pour lequel nous avons sollicité une résidence à la Fabrique ne pourra pas avancer tant que nous ne nous retrouverons pas dans la même pièce
- la sensation que nous ne voulions pas parler de la situation, puisque tout le monde en parle déjà, parfois très bien, et que nous ne savions pas quoi en dire
- le constat que nous ne pouvions pas non plus parler de quoi que ce soit d'autre
Voici comment, d’ordinaire, nous travaillons à deux : nous nous réunissons dans un lieu où nous sommes en sécurité, où nous avons l’espace et le temps d’explorer à notre guise. Nous sommes souvent en désaccord, d’une manière qui pour nous deux est une émulation.
À distance, ça a été plus rude. Le désaccord et l’incompréhension par téléphone, ça ne se règle pas en une embrassade.
Et pourtant nous avions cru être les plus malin⋅e⋅s : "Puisque nous ne pouvons produire qu’en étant à deux, nous allons proposer quelque chose qui parle de l’impossibilité pour nous de produire à distance. Parlons de cette distance qui nous rend le travail difficile, et qui révèle que la part majeure de ce travail, ce n’est pas la raison, la réflexion, c’est l’empathie, la coprésence, le temps passé ensemble." Un temps que nous tâchons à chaque résidence de constituer en dehors des impératifs néo-libéraux dans lesquels nous nageons depuis le berceau : nous nous efforçons d’être inefficaces, d’être sensibles, de perdre du temps, de ne pas travailler — simplement d’être ensemble. C’est ça, en quelque sorte, notre but, quand on travaille ensemble : ne pas travailler.
Mais là, de loin, à 1000km l’un·e de l’autre, ça n’a pas fonctionné. Communication chaotique, violente, rude, par nous-mêmes et malgré nous-mêmes.
Alors on s’est dit : "Bon ! Eh bien puisqu’on ne se comprend pas, arrêtons d’essayer."
Ainsi trois jours de suite on s’est envoyé des mails sans corps de texte, avec seulement une pièce jointe, comme des messages cryptés.
Six propositions en forme de ping-pong, pour communiquer par la tentative de création, afin que les incompréhensions soient productrices — comme elles devraient toujours être.
Nous avons mis en place un protocole simple :
- Faire une "Proposition a" et l'envoyer à l'autre ;
- Faire, à partir de la proposition reçue, une "Proposition b" - le sens de ce "à partir" étant absolument libre - et l'envoyer à l'autre ;
- Les "Propositions b" ainsi échangées enclenchent à leur tour des "Propositions c"
Nous pressentons que ces six propositions peuvent nous donner quelque chose à penser sur ce que "travailler ensemble" signifie, sur les multiples sens de cette expression, et sur certaines manières de faire oeuvre collective dont nous sommes résolument privé⋅e⋅s actuellement. Mais nous sommes pour l'instant incapables de voir et de comprendre plus loin.
Céline Estenne et Jean-Baptiste Polge